Intervention de Jérémie Boroy, président de l’Unisda (extraits)

L’accompagnement des familles découvrant la surdité de leur enfant
extraits de l’intervention de Jérémie Boroy, lors de l’avant-première du film « Quels choix pour mon enfants sourd ? » le 15 novembre 2006 � l’Hôtel de Ville de Paris.

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Le sujet de l’accompagnement des parents qui découvrent la surdité de leur enfant fait débat et renvoie � de nombreuses questions :
 Quelle sont la place et la légitimité des intervenants du secteur médical qui annoncent la surdité d’un enfant � ses parents et qui le prennent en charge ?
 Quels sont les enjeux du dépistage systématique de la surdité � J+2 qui fait aujourd’hui l’objet d’une expérimentation de deux ans dans 6 régions françaises ?
 Comment les parents qui découvrent la surdité peuvent-ils accéder � une information neutre et objective pour choisir librement, comme le leur permet la nouvelle loi du 11 février 2005, un mode d’éducation et de communication avec leur enfant ?
 Jusqu’� quel point la perception que ces parents avaient de la surdité avant de connaître celle de leur enfant influence leur comportement et leurs choix ?
 Quel équilibre doit être assuré entre la logique sanitaire et médicale qui privilégiera l’appareillage et la rééducation orthophonique et la logique éducative et linguistique qui privilégiera l’épanouissement de l’enfant sourd au sein de sa famille en vue de lui garantir l’accès � une communication et � un parcours personnel de qualité ? Ou une logique doit-elle l’emporter sur l’autre ?
 Quelles sont les conditions � réunir pour permettre l’accès � une langue ? L’éducation en Langue des Signes Française compromet-elle l’accès � la langue française ? Un projet d’accès prioritaire � la langue française, avec le langage parlé complété par exemple, doit-il impérativement passer par le recours � des professionnels ?
 Comment l’implant cochléaire va -t-il modifier la donne ? Sur la base de quels critères l’évaluation de cet appareillage doit-elle être conduite ?
 L’accès de qualité des enfants (et futurs adultes) sourds � une langue, � un projet scolaire, professionnel et social, � un épanouissement personnel, serait-il réservé � une élite sociale et culturelle, les autres devant se contenter d’une prise en charge par des institutions spécialisées ? La mobilisation des pouvoirs publics pour que cet accès soit démocratisé est-il envisageable ? Quelles sont les conditions de cette démocratisation ?
 L’autonomie d’une personne sourde suppose-t-elle � tout prix sa ressemblance � un modèle bien entendant et bien parlant ou plutôt l’aménagement de la société qui se rendrait accessible � d’éventuelles différences ?

L’enjeu de ces questions relatives � l’enfant sourd est pourtant bien de savoir quels choix la société française entend faire pour accueillir en son sein les personnes sourdes.

Pendant longtemps, ces questions de fond étaient masquées par les débats, souvent passionnés, entre les partisans de tel ou tel choix. Si ces débats sont loin d’être clos, une prise de conscience s’est opérée depuis longtemps au sein des associations nationales représentatives de personnes sourdes et de leurs familles pour déplacer les clivages et penser en priorité � la qualité des projets proposés aux enfants sourds sans que la notion de choix fasse peur et conduise la majorité des personnes concernées � démissionner de leurs responsabilités par non choix.

De l’avis unanime de ces associations représentatives, c’est l’information des parents et leur accompagnement qui peuvent leur permettre d’envisager l’éducation de leur enfant sourd dans les meilleurs conditions, avec l’idée qu’ils doivent en rester les responsables et acquérir les compétences nécessaires en termes de communication. L’éducation, le développement et l’épanouissement d’un enfant entendant passent d’abord par sa communication avec ses parents. Il doit en être de même avec les enfants sourds. Les expériences réussies de quelques sourds en France, quelque soit la communication qu’ils maîtrisent – Langue des Signes ou langue française (avec langage parlé complété pour certains), renvoient systématiquement � la place prédominante de leur famille dans leurs premières années. �€ ceux qui souhaitent que ces expériences réussies soient � la portée de tous, il leur est souvent répondu qu’ils sont hypocrites de penser que cela serait possible car la plupart des parents n’en auraient pas les moyens.

Des centres d’information sur la surdité sont justement mis en place, depuis quelques années, au niveau régional ; le gouvernement français s’est d’ailleurs engagé � les généraliser sur tout le territoire avant la fin de l’année 2007. Mais leurs moyens restent insuffisants et ces CIS sont insuffisamment positionnés dans le parcours des parents qui passe d’abord par l’hôpital où la surdité de leur enfant leur est annoncée. Il en résulte un trop grand nombre de familles mal informées, mal accompagnées dans leurs choix et dont les enfants accèdent avec retard � une communication aisée.

En ce qui concerne l’accompagnement des familles, les CAMPS (centres d’action médico-sociale précoce) sont censés assurer cette mission.Or, il est souvent regretté qu’ils privilégient trop la prise en charge de l’enfant par des professionnels au détriment de la guidance parentale. Lorsqu’ils sont rattachés � une autre structure spécialisée, ces CAMPS servent souvent de lieu de recrutement de �« clients � » pour ces structures.

L’expérimentation du dépistage systématique de la surdité � J+2, en cours depuis quelques mois en France dans 6 régions, avait suscité l’intérêt et l’enthousiasme des associations représentatives tant elle permettait d’envisager justement cet accompagnement des familles le plus en amont possible, l’accès � la communication et au développement linguistique devant être prévu et mis en place le plus précocement possible. Mais ces associations regrettent que la responsabilité de cette expérimentation ait été maladroitement confiée aux seuls promoteurs de l’implant cochléaire, qui doit d’abord être considéré comme une possibilité parmi d’autres. Le risque, selon elles, serait que le dépistage de la surdité conduise systématiquement � l’implant cochléaire, sans aucune autre forme d’accompagnement, laissant supposer que la seule implantation suffirait � répondre � la question, alors qu’elle doit d’abord résulter d’un choix m� »rement réfléchi et que le développement linguistique de l’enfant doit aussi être pensé en fonction de la surdité de l’enfant.

La loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, du 11 février 2005, prévoit plusieurs dispositions concernant notre sujet.
Un article rappelle une ancienne disposition et la précise : les parents peuvent librement choisir pour et avec leur enfant sourd entre une communication en langue française et une communication bilingue (Langue des Signes Française et langue française). Le décret d’application, publié le 5 mai dernier, fixe les conditions d’exercice de ce choix : les maisons départementales des personnes handicapées doivent s’assurer que les familles concernées ont préalablement reçu l’information nécessaire (d’où la mission des CIS) avant d’enregistrer leur choix. Ce décret rappelle également que ce choix s’impose � toute la communauté éducative.
L’éducation est un des autres enjeux de cette loi qui prévoit que l’�‰ducation nationale doit prendre la responsabilité de la scolarisation de tous les enfants handicapés. Pour les enfants sourds, cela signifiera qu’ils devront pouvoir bénéficier d’un projet scolaire digne de ce nom (certains passent encore aujourd’hui la totalité de leur scolarité dans des �« centres de rééducation de l’ouie et de la parole � » sous la houlette du ministère de la Santé, expliquant aisément les situations d’échec vécues par de nombreux sourds tant la dimension rééducative y est envisagée au détriment d’une éducation ordinaire). Ce sera donc � l’�‰ducation nationale de proposer des parcours scolaires aux enfants sourds en adéquation avec le projet linguistique et éducatif de leur famille. Mais ces parcours scolaires n’auront de sens que si les familles sont d’abord réellement en mesure de faire accéder leur enfant � la communication et � une ou des langues.
Enfin, cette loi entend favoriser l’autonomie et la citoyenneté des personnes handicapées. C’est justement le c�“ur de notre sujet puisque pour les enfants sourds, c’est l’accès � la communication et � la langue qui permettra cette autonomie et cette citoyenneté.

Dépistage systématique, centres d’information sur la surdité, libre choix des parents, nouvelles formes de scolarisation : autant de chantiers actuels qui incitent les associations représentatives � appeler � la mobilisation des pouvoirs publics pour que le lien soit fait entre eux et que la mutation de l’éducation des enfants sourds permette cet accompagnement des familles.

La priorité doit donc désormais être donnée � l’accompagnement des parents avant la �« prise en charge � » de l’enfant sourd, tant la famille reste le cadre le plus naturel et le plus pertinent de l’évolution et de l’éducation d’un enfant, sourd ou non.