Introduction : « Genèse de l’enquête »
Jean-Louis BOSC,
Vice-président de l’Unisda, Animateur du groupe détresse psychologique
La mise en chantier de l’enquête sur le mal-être et la détresse psychologique des personnes sourdes, malentendantes, devenues sourdes et/ou acouphéniques, a été marquée par quatre étapes.
PREMIERE ETAPE : mise en place d’un groupe de travail
En novembre 2008 l’UNISDA, sous la présidence de Jérémie Boroy, a pris l’initiative de mettre en place un groupe de travail sur la détresse psychologique des personnes sourdes, malentendantes ou devenues sourdes.
Ce groupe était composé initialement de représentants associatifs de l’Unisda (notamment : Bucodes, Anpeda, Afideo, MDSF, Société centrale), mais aussi de la FNSF, l’Unafam-Paris, Acfos, Droit au Savoir et de professionnels représentant les réseaux RAMSES, GERS, GESTES (psychiatres et psychologues) et du réseau national des Unités d’accueil et de soins de patients sourds en langue des signes (UASS) et d’Unités « surdité et santé mentale ». Il a accueilli par la suite d’autres membres représentant France Acouphènes, HABEO (ex. AFBAH) , l’INPES, le CEDIAS, la FNAPSY et l’UNPS.
Ce groupe est parti de l’observation d’un déni de souffrance psychologique ignorée, ou minimisée, par les pouvoirs publics, les administrations, les collectivités territoriales, mais aussi par la plupart des associations elles-mêmes.
Chaque année des personnes sourdes mettent fin à leurs jours, souvent de manière méconnue, sans provoquer de réactions notoires.
Face à cette détresse, force est de constater des réponses très variables et inégales sur notre territoire.
Il n’existe en France que deux Unités de santé mentale adaptée pour adultes : à Paris et à Marseille, et un centre régional pour enfant sourds en IDF à Paris.
Un Diplôme Universitaire « surdité et santé mentale », proposé depuis 2002 à l ’Université Paris V, offre une réponse adaptée mais limitée face aux besoins.
Ainsi, l’ARS Rhône-Alpes juge encore non prioritaire de prendre en compte la santé mentale dans le projet de création d’un Pôle de santé accessible aux personnes sourdes, alors qu’au plan national, les projets régionaux de santé sont axés sur la souffrance psychique…
Aussi, notre groupe a-t-il décidé de mettre en œuvre une enquête nationale auprès des usagers, des proches et des professionnels (des secteurs de la santé et de l’accompagnement médico-social), en faisant appel à un institut de sondage, pour avoir des garanties de qualité, avec l’insertion de vidéo en LSF, pour une accessibilité à tous les publics.
L’année 2009 a été consacrée à :
- l’élaboration des questionnaires destinés aux trois acteurs : usagers, proches et professionnels ;
- faire connaître notre projet auprès de partenaires associatifs et professionnels, en participant à des journées d’études (réseau « surdité et santé mentale » à Lille, RAMSES et des UASS à Paris) et en organisant des conférences-débats sur le thème de la détresse psychologique, accessibles à tous, dans de grandes agglomérations (Lyon, Bordeaux, Marseille, Toulouse).
- des articles diffusés dans des revues et sur des sites associatifs et professionnels (tels que ceux d’ACFOS, de la FNO, de l’UNSAF, puis de la FEHAP, de la Mutualité française et de la FISAF).
Afin d’obtenir une représentativité suffisante, nous avons cherché à obtenir un échantillon le plus grand et le plus large possible, en engageant une communication importante auprès de tous les acteurs.
L’enjeu était suffisamment important pour que nous différions d’une année de lancement de l’enquête.
SECONDE ETAPE : Communication et préparation de l’enquête
Elle s’est déroulée en trois phases :
Première phase :
Une rencontre publique, animée par Jérémie Boroy, le 6 novembre 2009 pour :
- communiquer sur la détresse psychologique des personnes sourdes ou malentendantes ;
- présenter notre projet d’enquête nationale.
Placée sous le parrainage de Mme Nadine Morano, secrétaire d’Etat à la Famille et à la Solidarité, elle a réuni une soixantaine d’acteurs associatifs et professionnels.
M. Patrick Gohet, président du CNCPH, et le Pr Michel Debout, président de l’UNPS (Union nationale pour la prévention du suicide) sont intervenus pour soutenir notre projet.
Daniel Abbou et Bruno Moncelle, y ont apporté également leurs témoignages.
Sophie Bergé-Fino, avec une équipe de L’œil et la main (FR5), était présente pour réaliser un documentaire consacré au suicide des personnes sourdes. Un extrait vous sera proposé ce matin.
A la suite de cet événement, plusieurs organismes et associations ont manifesté de l’intérêt pour notre enquête : la Mutualité Française, la FEHAP et France Acouphènes. Outre les personnes sourdes, malentendantes, devenues sourdes notre enquête sur la détresse psychologique s’est ainsi ouverte aux personnes acouphéniques.
Deuxième phase :
Début 2010, une campagne de recherche de personnes-relais bénévoles susceptibles de relayer et de promouvoir l’enquête localement est lancée : une cinquantaine de personnes ont ainsi été recrutées (sur 70% des régions) et formées sur une journée (à Paris et Lyon).
Une présentation de notre projet d’enquête nationale a été introduite sur le site de l’Unisda. De même, un article bilingue LSF/français a été mis en ligne sur le site de Websourd.
Par ailleurs, un atelier sur la détresse psychologique a été proposé aux parents et professionnels lors des journées nationales de l’ANPEDA en janvier 2010 à Paris. Deux conférences sur la détresse psychologique ont été organisées à Paris en mai et à Nancy en juin.
En février 2010, le thème de « la prévention et de l’accompagnement de la détresse psychologique des personnes sourdes et malentendantes », retenu dans le Plan d’actions 2010-2012 du gouvernement en direction des personnes sourdes ou malentendantes, est venu conforter notre initiative.
Pour la première fois, trois mesures ont été retenues pour améliorer la connaissance des besoins et de l’offre d’accompagnement disponible.
Troisième phase :
TNS Sofres est choisi, à la suite d’un appel d’offres auprès des Instituts de sondage.
Après avoir arrêté le contenu, la programmation de la mise en ligne a été réalisée pour les trois questionnaires : « publics sourds et/ou acouphéniques », « parents ou proches » et « professionnels (santé ou accompagnement médico-social) ».
En accord avec l’INPES, le standard utilisé en psychiatrie, score MH-5, a été retenu pour objectiver la détresse psychologique. Il offre la possibilité de faire des comparaisons avec les résultats d’autres enquêtes.
- Une phase pilote a été nécessaire pour valider les trois questionnaires mise en ligne, à la mi-mars, dans les conditions de l’enquête auprès des membres du groupe de travail et des personnes-relais. De nombreuses modifications ont été apportées à la suite de ce test.
- Une traductions en LSF de l’ensemble des questionnaires « définitifs » par WebSourd pour réaliser les vidéos en LSF. Le délai de réalisation de ces vidéos, porté à mi-avril, a imposé un report du lancement de l’enquête.
- Une version papier des questionnaires a été élaborée pour les « sourds » et les « parents/proches », début avril. La diffusion des questionnaires papier dans les revues des associations et des réseaux de professionnels partenaires a été effectuée.
TROISIEME ETAPE : lancement de l’enquête le 10 mai 2010
Les membres du groupe de travail et les « personnes-relais » ont réalisé des relances périodiquement auprès de leurs réseaux associatifs et professionnels.
Durant la mise en ligne des questionnaires, jusqu’à mi-juillet 2010, une communication hebdomadaire de l’avancement de l’enquête a été instituée avec TNS Sofres. La répartition pour les publics sourds et acouphéniques, les proches et les professionnels selon les départements et les régions, ainsi que l’âge des usagers, était transmise pour une relance ciblée.
La saisie des questionnaires-papiers a été effectuée, jusqu’à fin juillet, sur le site dédié de TNS Sofres par quelques bénévoles de l’Unisda et de France Acouphènes.
Le premier bilan de l’enquête nationale, montre que plus de 2800 personnes ont répondu (Internet et papier), soient : 74 % pour les publics sourds, 16 % pour les proches/parents et 10 % pour les professionnels.
Ce résultat, bien supérieur aux estimations, confirme l’importance de l’attente sur ce sujet . Il permet ainsi une analyse significative pour ce premier état des lieux de la détresse psychologique des publics sourds et/ou acouphéniques en France.
QUATRIEME ETAPE : restitution de l’enquête
Après une première analyse globale effectuée par TNS Sofres en septembre 2010, nous avons rencontré des difficultés pour explorer les résultats de manière plus approfondie. L’équipe universitaire pressentie n’a pas pu être mobilisée. Nous avons dû » alors nous tourner vers des solutions plus compliquées à mettre en œuvre, dans un délai réduit.
Malgré tout, des études complémentaires ont pu être menées partiellement par :
- TNS Sofres, présentées par Laurent Weynant, concernant les résultats principaux de l’enquête auprès des publics sourds et acouphéniques, des proches et des professionnels ;
- L’EHESP, présentées par Pascale Roussel, avec le soutien de la CNSA, concernant plus spécifiquement de la détresse psychologique exprimée par les publics sourds et acouphéniques ;
- Le Bucodes, présentées par Richard Darbéra, qui a analysé les résultats du point de vue des personnes devenues sourdes ;
- L’INPES, présentées par Audrey Sitbon, qui nous présentera l’enquête du « Baromètre Santé Sourds et Malentendants » et des contributions de l’enquête Unisda.
D’autres analyses permettront d’explorer, à l’avenir, des facteurs non étudiés. Les bases de données de cette enquête peuvent encore fournir des éléments utiles. Plus de la moitié des répondants, aux profils divers, ont accepté d’être recontactés.
Par ailleurs, ce sujet émergent réclame d’autres rencontres ultérieures pour échanger plus amplement sur ce thème. Nos partenaires y seront naturellement associés.
Enfin, sachez que cette manifestation servira de levier à des rencontres au niveau local entre usagers, familles, professionnels, administrations et collectivités territoriales, dans le but de présenter et faire remonter des propositions collectives.
Je remercie les nombreux partenaires qui se sont impliqués pour promouvoir cette enquête, ainsi que les membres du groupe de travail investis dans la mise en œuvre de notre projet et, plus particulièrement, l’équipe de pilotage de l’Unisda : Cédric Lorant, Président, Françoise Quéruel, Secrétaire générale, et Eliane Kéravec, Trésorière, il y a peu encore.
Je voudrais, à titre personnel, associer à ces remerciements la mémoire de mon fils, Damien, sans lequel je ne me serais pas engagé dans cette action pour que la souffrance psychologique des personnes sourdes, malentendantes, acouphéniques soit reconnue, prévenue et accompagnée par tous les acteurs concernés.
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